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Kevin, Thomas ou Julien

Kevin, Thomas ou Julien

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Pascal Viyer


Free Account, Nevers, Bourgogne

Kevin, Thomas ou Julien

Aujourd’hui, près de chez moi, un enfant s’est donné la mort.
Angelina ouvrait les volets de la porte-fenêtre. Son cœur battait d’une rare joie à l’idée de voir la clarté inonder la pièce. Cette heure, c’était la sienne. Son quart d’heure de grâce. Peu lui importait que le soleil voleur fouillât tous les recoins du salon et même sous le téléviseur. De son côté, un merle de pelouse vaquait à grands coups de bec nerveux sous la mélopée des pinsons, le roucoulement d’une colombe. L’air secouait juste ses tapis. Pas un souffle de voiture.
Dans l’arbre du champ voisin, elle aperçut une branche, se dit qu’il avait dû faire du vent ou que le chêne vieillissait étrangement mal. La branche ne bougeait pas, pendait. Et ce fut là, dans ce laps de temps où le merle se faufila sous les thuyas, où la colombe s’enquit d’un autre promontoire, dans cet infime vide, qu‘elle comprit.
L’enfant n’avait pas seize ans. Un petit d’homme aussi grand qu’un homme, aussi grand qu’un tsunami ravageur, plus puissant que mille bataillons grondants. Et l’arbre s’était tu. Il pleurait sa sève, s’en voulait de ne s’être amputé le bras. Il rageait contre ses os vaillants. Qu'était-il devenu centenaire pour, qu’en ses vieux jours, la vie s’accrochât silencieusement à lui ? Qu’on le déracine ! Qu’on le jette dans la machine à copeaux !
Mais les arbres n’ont pas de prénom. Ces prénoms familiers comme tous ces Kevin, ces Thomas, ces Julien qui ne s’adressent qu’à un seul. A l’enfant, à l’ami, à lui seul, rien qu’à lui. Décidément, ni la pluie, ni le soleil ne sont signes de vie ou d’espoir. C’est malheureusement tout l’espoir que nous entretenons avant que la déferlante ne déferle et cogne.
Il s'appelle Allan.

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Today, near my home, a child committed suicide.
Angelina opened his venitian shutters. His heart beat of a rare joy at the idea of seeing the clarity flooding the room. This hour, it was his hour. His grace. The light-fingered sun searched all corners of the living room and even under the television set. A blackbird of lawn attended to big blows of nervous beak under the singing of the chaffinches, the cooing of a dove. Air shook up its carpets. No breath of car.
In the tree of the neighbouring field, she saw a branch, tells herself that it was to be blowy or that the oak became old. The branch did not move, hung. And, for this period when the blackbird hid under thuyas, where the dove enquired about another promontory, in this insignificant space, Angelina understood.
The child was not sixteen years old. He was a child as a man, so big as a devastating tsunami, more powerful than one thousand rolling groups of soldiers. And the tree had been silent. It mourned its sap, was meant to be to have amputated the arm. It raged against its courageous bones. Why had it become hundred-year-old ? That they root it out ! That they throw it into the machine to crush the wood !
But trees don't have forename. These familiar forenames as every Kevin, Thomas, Julien who designe only an only one... To the child, to the friend, to himself, nothing but to him. Really, neither the rain, nor the sun are signs of life or hope. It is unfortunately all hope that we maintain before the breaking erupts and bangs.
His name is Allan.

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